[Dark Ages : Fae] Introduction : un nouveau serment

Le Fae ne sembla pas le remarquer ou, en tout cas, n'y fit guère attention.

"N'en sois pas si sûre... Certains sorciers, ceux qui se nomment aussi mages ou emploient d'autres appellations, ne nous veulent pas que du bien et ils ont déjà contribué à renverser certains des nôtres, quand ce n'est pas l'Église... Il y a aussi les seigneurs de la nuit. Il nous faut être très méfiant. Les hommes-loups nous posent moins de problèmes et j'ai parfois l'occasion de parler à certains. Ils pensent la même chose. Nous devons faire très attention à tout ce qui peut arriver. Nous devons surveiller.

La Cour va bien, dans l'ensemble, en dehors de soucis indiqués... Néanmoins, cela risque de ne pas durer. Le vent semble annoncer certains troubles à venir chez les nôtres. Peut-être dans quelques mois lunaires, peut-être dans quelques années, mais ça vient."

Le cervidé sembla gêné.

"Hmm, par Cernunnos, Sylvanus et les autres anciens dieux païens, je ne suis jamais à l'aise en ville ! Tu sais, ma chère abeille, je préfère généralement surveiller les mortels à distance et veiller sur eux ainsi... J'ai d'ailleurs beaucoup de serments liés à la fertilité. Beaucoup veulent s'assurer que leur enfant naîtra en bonne santé. Enfin, d'autres femmes m'ont demandé d'ôter la vie de leur ventre, mais ce n'est pas mon genre... Je suis pour la vie et la nature. C'est ce que j'incarne et chéris. Voilà pourquoi une ville me met mal à l'aise... Enfin, elle n'est pas bien grande... Je suppose donc que je dois pouvoir t'y suivre, n'est-ce pas ? En me changeant, bien sûr... Je connais un peu les pouvoirs du Jour."

Quand elle fit appel au pouvoir des Brumes pour masquer ses traits féeriques, il sourit en la regardant et se glissa dans son dos, un bras la ceinturant, l'autre jouant avec ses formes généreuses à travers le tissu de sa robe. Bien sûr, les Brumes ne cachaient rien aux Fae, uniquement aux mortels, mais les Fae pouvaient aussi percevoir l'illusion et avoir une idée de son apparence.

"Eh, tu es très séduisante comme les mortels te voient aussi ! Tu dois plaire à beaucoup, ma belle abeille..."

Il fit de son côté appel au Glamour de l'Été pour cacher ses traits féeriques. En dehors de l'absence de ceux-ci, il ressemblait exactement à sa forme féerique, à savoir un jeune homme brun et petit à la chevelure bouclée et à la barbe bien fournie.

Le Fae sourit et marcha à ses côtés.

"Je vois... C'est une façon intéressante de sceller un serment et je crois que je commence à penser que tu es amoureuse du petit seigneur de ces lieux, chère consœur ! L'abeille aurait-elle trouvé une fleur à son goût ? En tout cas, ça m'en a tout l'air..."

Melfleury était un petit village d'une centaine d'habitants. En fait, le fief entier n'était pas bien peuplé. Ce n'était pas une ville car, en dehors du nombre fort restreint d'habitants, elle ne remplissait pas les critères pour être nommée ainsi : elle n'était pas fortifiée. Les seuls murs étaient ceux du château du seigneur. Le village lui-même n'en possédait pas. C'était donc tout simplement un petit village rural avec une communauté raisonnable. Il y avait bien évidemment des artisans et quelques marchands qui possédaient des demeures dignes des bourgeois des villes. Ils étaient les principaux responsables de l'exportation de miel et de cire, sur laquelle le seigneur percevait une taxe.

"Oh, je n'ai pas dit cela, ne t'inquiète pas... Tu sais, l'épouser ne passerait peut-être pas aux yeux de certains, mais ça t'assurerait de pouvoir le surveiller et ça te permettrait même d'installer tes enfants. Ainsi, ils veilleraient sur la ruche et sur le fief. Je suis juste triste qu'une abeille comme toi ne soit plus aussi libre de voler et de bourdonner car tu es probablement la plus belle à des lieues..."

Les habitants semblaient beaucoup aimer les fleurs et y veiller, sans non plus en entretenir tant que ça. Certains habitants faisaient pousser certaines fleurs des champs que les abeilles affectionnaient tout particulièrement. C'était une coutume typique de Melfleury. On pensait, grâce à cette tradition, honorer comme il se devait la protectrice du fief. Oui, notre chère Apolline était vraiment une légende locale.

Bien sûr, on regardait cette beauté et cet homme à la chevelure abondante qui l'accompagnait. C'était assez étrange... Il y avait bien d'étranges chariots et, devant, quelques hommes qui patientaient, vêtus comme des gardes et des chevaliers.

"Eh, beauté, tu fais déjà un grand honneur au seigneur mortel en lui accordant un héritier qui portera vos deux sangs. Il aura ton sang féerique et son sang mortel, aussi noble soit-il. Je me demandais juste, c'est tout... Tu as raison. Le mariage, c'est une perte énorme de liberté. Jamais on ne m'enchaînera avec un mariage. Je peux en faire le serment. Je refuse d'être lié ainsi.

Oui, c'est bien ce que j'ai vu depuis la forêt... Je reconnais bien. C'est soigneusement fermé. Impossible d'en voir le contenu..."

Les hommes surveillaient strictement les chariots et n'en bougeaient pas. On avait dû leur ordonner de les garder.

Le seigneur des forêts la suivit en observant toutes les femmes sur le passage, oubliant apparemment assez rapidement ses soucis pour ne plus penser qu'aux belles paysannes et villageoises, voire aux châtelaines quand ils arrivèrent au château. On pouvait chasser le naturel, il revenait au galop. Comme beaucoup de Fae du Printemps, il ne semblait pas être du genre à penser sur le long terme et souffrait visiblement du même penchant pour les plaisirs charnels, ce que les mortels verraient comme un vice, que la reine des abeilles.

Les gardes les regardèrent et demandèrent aux Fae sous forme humaine la raison de leur présence en ces lieux.

"Que venez-vous faire ici, manants ?"

Le garde sourit. Son camarade lui donna un coup de coude dans les côtes.

"Imbécile, ne la reconnais-tu donc pas ? C'est la jolie paysanne que notre seigneur honore régulièrement ! Enfin, c'est ce qu'on dit... Elle peut donc passer, même si, par contre, j'ignore qui est le bougre qui l'accompagne. Je ne l'ai jamais vu dans le coin, en tout cas. Bon, on va vérifier si vous n'avez rien de dangereux sur vous et on vous laisse passer, marauds. On ne va pas vous empêcher de rendre hommage."

Ils le firent donc et les laissèrent passer tous les deux. Dans la salle principale de son château, le jeune seigneur était occupé avec quelques affaires. Près de lui se trouvait un homme en robe, un clerc, par en juger à sa tenue, et même un curé. Il s'agissait en effet de Père Foulques, qui n'était rien de moins que l'oncle du seigneur actuel, le jeune frère malheureux, puisque puîné, de son père. Sa famille étant de petite noblesse, le clerc n'avait pu prétendre à un statut bien élevé. À dire vrai, il n'avait jamais eu l'ambition d'être évêque ou abbé. Il avait toujours préféré rester auprès de son frère aîné, dont il avait été le conseiller et le confesseur pendant de nombreuses années en plus d'être le curé du village.

Père Foulques était un homme d'environ une quarantaine d'années, aux yeux verts et aux cheveux grisonnants arborant la tonsure traditionnelle du clergé. Il était légèrement plus petit que son neveu et son corps payait le prix de son manque d'activité physique. Il fallait comprendre par là que le prêtre était un peu gras, d'autant plus qu'il était connu pour sa gourmandise : il aimait tout particulièrement les sucreries à base de miel et tout ce qui en contenait généralement, notamment l'agneau au miel. Le prêtre avait un fort appétit et appréciait à sa juste valeur la cuisine. En dehors de cela, il s'agissait d'un homme tout à fait vertueux et sympathique, en plus d'être un grand lettré.

Le seigneur sourit doucement en voyant Apolline, bien qu'il fut gêné par la présence de son oncle...

Le prêtre le prit avec plaisir et la remercia d'un signe de tête. Le seigneur le fit également en souriant doucement.

"Merci, Apolline... Je suis heureux de voir que les abeilles donnent toujours autant de bon miel..."

Il ne dit que cela, visiblement très gêné par la présence de son oncle et aussi celle d'un autre homme, à quelques pas, dans l'ombre. Il s'agissait d'un homme en robe aux cheveux roux et assez longs. Il n'avait rien d'un clerc, à en juger par sa chevelure, l'absence de tonsure dans celle-ci et la couleur pourpre de sa robe. Il semblait être un simple mortel, mais sa présence troublait indéniablement le seigneur.

La question augmenta son trouble. Il était presque angoissé... Il semblait fatigué, aussi. La nuit avait dû être courte.

"Non, non, je vous assure que ce n'est rien... J'ai juste eu une mauvaise nuit de sommeil. J'ai peu dormi. Je ne suis pas malade, merci. Je vais très bien, je vous l'assure... Et mon suzerain direct est le roi de France. Mes terres appartiennent à lui avant tout. Il n'y a strictement aucun seigneur entre lui et moi. Non, je ne reçois donc pas la visite de mon suzerain. Tout va bien, rassurez-vous..."

Il s'efforça de sourire pour la rassurer, mais ce n'était guère convaincant...

L'homme se contentait de la regarder en plissant doucement les yeux. Il y avait vraiment chez lui quelque chose d'étrange qui fut confirmé par le pouvoir de la Fae. En effet, celle-ci avait l'intuition que cet homme était un mortel qui se nourrissait du sang des morts pour préserver sa vie. C'était exactement ce qu'elle ressentait à son sujet. Il était un vassal de sang, inféodé à un être mort-vivant.

Le prêtre blêmit. Le seigneur se leva aussitôt, visiblement lui aussi très gêné par l'attitude de la Fae.

"Allons, Apolline ! Il n'y a rien dans ces chariots en dehors de quelques produits et des affaires de ce savant. Il s'agit là d'un sage conseiller et d'un érudit qui a fait un long voyage depuis Paris. Il vient de ce qu'on appelle l'Université de Paris, un lieu d'enseignement. Ce sage veut nous faire bénéficier, mon oncle en particulier, de son savoir. On ne peut repousser une telle offre. Nous avons besoin de sa sagesse."