[MtAw] L'éveil de Giulietta

"C'est ce que nous appelons une cabale de mages, à savoir un groupe de mages ayant des objectifs communs et lié par un serment magique qui assure la cohésion du groupe en question, évitant ou, du moins, limitant les coups tordus entre confrères."

Il la fit entrer dans un lieu fort austère où il n'y avait guère de décoration. Le mobilier lui-même était simple et comprenait surtout plusieurs bibliothèques, des tables et des bureaux sur lesquels travaillaient des hommes en tenue ecclésiastique, l'un sur un ordinateur et l'autre sur ce qui semblait être un manuscrit particulièrement ancien, datant probablement du Moyen-Âge ou de la Renaissance...

Tous ici portaient une tenue du clergé : il y avait deux moines, une nonne et un prêtre, Lazare lui-même. La nonne jurait presque dans les lieux car le peu que l'on pouvait voir ou deviner d'elle laissait penser qu'il s'agissait d'une jeune femme d'une certaine beauté. Elle lisait un livre apparemment assez ancien qui était posé sur la table devant elle, et semblait particulièrement concentrée sur cette lecture.

Les deux moines, probablement trop concentrés sur leur tâche, ne prirent même pas la peine de la regarder, et encore moins de la saluer. Ils semblaient tous deux particulièrement sérieux et continuaient à accomplir leurs tâches sans être troublés par son arrivée.

Par contre, la nonne leva les yeux et la regarda en souriant légèrement. Elle se mit alors à parler d'une voix douce :

"Lazare... Tu amènes des jeunes femmes que tu trouves dans la rue ici, maintenant ?"

Le prêtre se gratta la tête, gêné.

"C'est... Une nouvelle Éveillée. Une Acanthus."

La nonne se fendit alors d'un plus grand sourire en observant avec insistance Giulietta...

Le moine qui lisait le vieux grimoire tourna alors la tête vers elle. Il s'agissait d'un homme assez âgé et tonsuré aux yeux rougis par de longues heures de lecture, de concentration et d'éveil. Apparemment, le moine en question ne devait pas beaucoup dormir...

"Enfant, l'Arcanum de l'Espace est avant tout le domaine d'un Mastigos et il se trouve que j'en suis un. Je peux peut-être te renseigner sur la question. Apprends que les Mastigos maîtrisent deux Arcana : ceux de l'Espace et de la Psyché. Pour maîtriser ton pouvoir, c'est précisément du second Arcanum que tu auras besoin. En effet, il te permettra d'améliorer ton propre esprit et donc ta concentration."

L'homme se contenta de hausser les épaules en regardant longuement la jeune femme avant de répondre :

"Il y a bien des mystères en ce monde et nous ne les comprenons pas tous. En tout cas, il est vrai que c'est assez curieux de développer une telle affinité dans un Arcanum que vous n'êtes pas censée maîtriser... Enfin, quoi qu'il en soit, il va vous falloir étudier l'Arcanum de Psyché si vous ne voulez plus perdre toute votre concentration quand vous employez des sorts d'Espace. Il est vrai que c'est souvent assez... Perturbant. Oui, c'est cela. C'est déroutant... Néanmoins, on finit par s'y habituer et on n'en souffre plus quand on maîtrise sa Psyché."

Père Lazare prit de nouveau la parole, gêné :

"Bien, écoute... Je ne veux pas t'effrayer, mais je tiens à ce que tu comprennes dans quoi tu t'engages: il te faudra des jours, voire des semaines, pour ne pas dire des mois, avant de parvenir à une compréhension suffisante de l'Arcanum de Psyché. Il te faudra être patiente..."

Le moins aux yeux éclatés par la fatigue acquiesça de la tête et ajouta :

"Oui, être mage implique beaucoup d'études afin de parvenir à une meilleure compréhension de sa nature et du monde."

Le moine sourit doucement en observant la jeune femme.

"Ne compare pas la magie avec la cuisine des boulettes de viande, petite folle, sauf si tu comptes faire usage de la magie pour faire cuire des boulettes de viande par la seule force de ton esprit, auquel cas je dois te dire que tu n'as malheureusement pas suivi la bonne Voie car c'est l'Arcanum de Forces qui te serait le plus utile dans cet usage. D'ailleurs, notre membre le plus respecté est un maître dans ce domaine...

Avant d'étudier avec sérieux la magie, ne devrais-tu pas apprendre les bases et, notamment, la vie secrète des nôtres ?"

Le moine sourit. La jeune nonne prit alors la parole en regardant longuement Giulietta.

"D'abord, sache que, nous les mages, nous n'employons jamais notre vrai nom dans le cadre de notre vie de mage car il es bien connu que quiconque détient le Vrai Nom d'une personne détient un certain pouvoir sur elle et nous cherchons absolument à éviter ceci.

Tu ne dois donc jamais donner ta véritable identité si tu ne veux pas qu'un mage exerce son emprise sur toi..."

Père Lazare sourit avant d'ajouter :

"Bien sûr, puisque la confiance règne au sein de notre cabale, nous connaissons tous les vrais noms de chacun de nos membres. Il est normal de prouver notre bonne foi. Tu connais aussi le mien, mais je pense que tu sauras être discrète. Bien évidemment, dans la vie de tous les jours, nous employons inévitablement notre véritable identité, sauf si nous sommes particulièrement méfiants et paranoïaques."

Le moine spécialiste en Espace sourit et précisa :

"Oui, la méfiance et la prudence règnent chez certains, mais nous avons une existence officielle au sein de notre Sainte-Mère l'Église."

Le Père Lazare sourit :

"On te l'a dit : ce n'est pas une question d'honnêteté ou de confiance : on doit faire preuve de prudence car il existe en ce monde des êtres méchants et mal intentionnés qui n'hésiteront pas à employer nos faiblesses. Des êtres abusent des gens vulnérables et il faut absolument veiller à ne pas leur laisser la moindre faille à exploiter. Des gens voudront inévitablement te nuire, quoi que tu fasses..."

Le père Lazare, apparemment l'un des plus jeunes ici avec la nonne, soupira et, avec un air désolé, répondit :

"Non, jeune fille... Non, ce n'est pas uniquement ton business et, au fond de toi, tu le sais. Les actes des mages concernent tous les mages. C'est triste, mais c'est ainsi que cela se passe. Il y a une société secrète et nous devons parfois rendre des comptes pour nos actions.

Tu dois absolument tout savoir de tout cela : nous devons assumer les conséquences de nos actes et, parfois, en payer le prix. Ce tribut peut être assez lourd et on ne peut pas toujours y échapper. Le Consilium y veille personnellement. Il est notre autorité."

La nonne se mit à rire. Il y avait dans son rire un côté moqueur et joueur.

"Ainsi donc, tu crois que tu peux tout avoir comme cela, gratuitement, et que tu peux faire ce qui te plaît sans avoir à te soucier des conséquences de tes actes, mademoiselle la mage à peine initiée ? On voit que tu n'as pas encore connu nos plus terribles expériences..."

Elle s'approcha d'elle et la regarda dans les yeux en continuant :

"As-tu déjà été traquée et poursuivie par un individu dangereux ? As-tu déjà expérimenté un phénomène surnaturel fort déplaisant ? Tu te crois sans doute au-dessus de tout, mais tu apprendras tôt ou tard la crainte... Tu expérimenteras la peur dans toute son horreur !"

Père Lazare se frotta les tempes. Le moine lui répondit d'un ton ferme, presque en colère :

"Ne viens pas nous proposer de l'argent ! N'insulte pas ainsi les dignes héritiers de Savonarole ! Nous ne sommes pas des simoniaques dans ce genre-là, mademoiselle ! Nous luttons contre le vice et le péché, et je combats constamment des démons ! Tu ne sais rien..."

"Ce Savonarole, nous en sommes les héritiers spirituels ! Nous ne te dirons pas s'il était bien un mage comme nous ou simplement un clerc éclairé, mais nous veillons à respecter son esprit et sa lettre car il était à son époque un phare de vertu dans un océan de vice. C'était une époque bien sombre où la décadence régnait en maître et menaçait la chrétienté. Nous le vénérons comme un maître."

Les mages la regardèrent sortir sans un mot. Aucun ne la retint : elle était libre de ses actes et ils la laissèrent donc en paix...